vendredi 13 novembre 2015

Rue du Trait-d’Union-qui-Rit (le trait d’union dans les noms de rue)

Une petite règle de typographie pour comprendre toute la différence entre Charles de Gaulle et Charles-de-Gaulle.
Ours (informations sur le journal) du quotidien Le Monde. Dans l’adresse du journal, « rue Auguste-Blanqui », il y a bien un trait d’union entre « Auguste » et « Blanqui ».
Un « Auguste » révolutionnaire a donné son nom à un boulevard parisien. C’est là que siège la rédaction du journal Le Monde. L’ours dudit journal le rappelle tous les jours : « 80, boulevard Auguste-Blanqui... » Avec un trait d'union !

Écoutez cette petite histoire qui illustre parfaitement l’importance du sujet du jour (l’usage des traits d’union dans les dénominations composées, notamment les noms de rue).

On raconte que le recteur d’une modeste paroisse du diocèse de Quimper et de Léon fut un jour invité à prêcher lors d’une grand-messe en l’église Saint-Louis de Brest.

Le vieil abbé, humble et pieux, savait que son éloquence n’était pas la cause première de cette invitation : une épidémie de grippe, particulièrement sévère, frappait alors un grand nombre de ses confrères.

Un peu chamboulé, l’abbé écrivit deux lignes à son évêque aussitôt après son intervention. « Monseigneur, moi, indigne serviteur du Christ, j’ai eu la grande joie de parler ce matin à Saint Louis. » Le prélat lui répondit dans la foulée : « Cher Recteur, je connais votre humilité, et même, disons-le, votre sainteté, mais dois-je comprendre que vous êtes intervenu dimanche dernier en l’église Saint-Louis de Brest, ce dont je me réjouirais déjà pleinement avec vous, ou dois-je rendre grâce au Seigneur d’avoir dans mon diocèse un prêtre ayant eu l'insigne honneur de converser avec notre défunt roi de France ? »

Eh oui ! Un simple trait d’union peut changer bien des choses.

Traits d’union dans les noms de rue : ce que vous savez sans le savoir

Adresse des éditions du Rocher : 28, rue Comte-Félix-Gastaldi, avec des traits d’union entre "Comte" et "Félix", entre "Félix" et "Gastaldi".
Les maisons d’édition sérieuses respectent
scrupuleusement ces règles.
Avenue du Maréchal-Foch, place du 11-Novembre, boulevard Henri-IV, rue Jean-Bodin, impasse du Pré-aux-Clercs… Les divers éléments composant un nom de rue sont liés par des traits d’union.
Et il en est de même ‒ ce que notre recteur a oublié sous le coup de l’émotion ‒ des noms d’édifices (église Saint-Louis), de villes (Saint-Nicolas-du-Pélem), de complexes culturels ou sportifs (centre Georges-Pompidou, Roland-Garros), d’associations (société Saint-Vincent-de-Paul)… (Lire également notre article sur le mot saint : Saint, petit s ou grand S.)

Le Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale énonce cette règle de la manière suivante : « Dans une dénomination composée, tous les noms, à l’exception de l’article initial, sont liés par des traits d’union. »

Les adresses que vous écrivez sur vos enveloppes, quant à elles, n’en comportent pas, mais elles sont bien les seules, car elles sont soumises aux règles particulières du Code postal. Il est également à noter que tous les mots composant ces dénominations, excepté les articles et les pronoms, prennent une majuscule : rue du Chat-qui-Pêche, place des Cinq-Martyrs-du-Lycée-Buffon.

Il vous semble découvrir cette convention typographique ! Elle vous étonne. Pourtant vous la connaissez, c’est certain : depuis votre petite enfance, dans tous les journaux, dans tous les livres, vous l’avez constamment vue utilisée.

Il nous faut encore préciser que cette règle ne relève pas de l’arbitraire (la petite histoire introduisant cet article nous le démontre amplement). Elle facilite notre lecture, nous permet d’identifier d’emblée des lieux, de les différencier (surtout lorsque leur appellation est abrégée) des personnages dont ils portent les noms.

« Je n’aime que toi »

Vous voulez d’autres exemples ! « En 1969, j’ai vu Charles-de-Gaulle. [Les traits d’union, même inconsciemment, vous font tout de suite penser à un lieu.] À cette époque, l’aéroport ne s’appelait pas encore ainsi et était en pleine construction. »

En revanche, s’il est écrit : « En 1969, j’ai vu Charles de Gaulle », c’est bien du général lui-même qu’il est question.

Et que penser de ce jeune homme qui écrirait à sa petite amie (à propos de l’un de ses anciens lycées) : « Je dois te faire une confidence : de toute ma vie, je n’ai jamais aimé que Marie Curie. »

Pour peu que la jeune fille ne connaisse ni Marie Curie, ni de lycée Marie-Curie…


Ah, au fait… Vous avez peut-être oublié cette règle très particulière : quand faut-il accorder ci-joint ?  C’est ici : ci-joints ou ci-joint ?

9 commentaires:

  1. « En 1969, j'ai vu Charles de Gaulle ».
    Il me semble que la typo commande Charles De Gaulle. Le De étant d'origine flamande, et non une particule nobiliaire.

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    1. Le « de », ici, n’est effectivement pas nobiliaire. Généralement (c’est le cas de le dire), on écrit cependant « Charles de Gaulle », le « général de Gaulle »… comme l’intéressé et ses parents le faisaient.
      Martin, vous trouverez cette typographie dans la plupart des dictionnaires et encyclopédies.
      En revanche, il est vrai, lorsque deux « de » se suivent, on met alors souvent une majuscule au second (c’est une convention très répandue, mais qui n’a rien d’obligatoire) : la division de De Lattre, l’épée de De Gaulle.

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  2. Les Flamands ne mettent pas non plus de majuscule à l'article des noms de famille. exemple : Simon van de Kerke, Jan de Klerk

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  3. Petite question : doit-on écrire rue Albert 1er ou rue Albert-1er

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    1. Oui Patrick ! Le trait d'union s'impose également ici, comme pour la rue Henri-IV (cette règle, souvent oubliée et pourtant très utile, est appliquée au moins en France et au Québec).
      Bien cordialement.

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    2. Je dirais même plus : rue Albert-Ier !

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  4. Bonjour, je tombe sur cet article par hasard, plus de cinq ans après sa publication, donc je ne sais pas si ce commentaire sera lu !

    Je connaissais déjà cette règle, mais je dois avouer que je n'aime pas l'appliquer aux odonymes ni aux noms de station de métro, pour la simple raison qu'on risque parfois de perdre des nuances : si on met des traits d'union partout, il devient impossible de savoir si le nom d'une rue ou d'une station est tiré d'un patronyme composé (qui nécessite tout à fait un/des trait(s) d'union), ou d'un prénom + un nom. Par exemple, la station, la rue et le boulevard Richard-Lenoir à Paris ont bien besoin d'un trait d'union car Richard-Lenoir est un patronyme (celui de François Richard-Lenoir). De même, à Lyon, le cours Richard-Vitton (3e arr.) est nommé d'après la famille Richard-Vitton (et plus précisément Jean Louis Richard-Vitton, fondateur du quartier de Montchat) et n'est pas à confondre avec le cours Vitton (6e arr.), nommé d'après Henri Vitton, ancien maire de La Guillotière. A contrario, quand on voit "rue Martin Bernard", on sait que la rue est nommée d'après Martin Bernard, et non un Monsieur Martin-Bernard.

    Dans le cas des stations de transports en commun, il est également utile de faire une distinction entre le tiret moyen voire long (pour séparer deux noms qui sont réunis en une seule station, comme dans le cas de Montparnasse—Bienvenüe ou Barbès—Rochechouart) et le trait d'union qui indique un nom simple tiré d'un patronyme composé (comme Mouton-Duvernet, Denfert-Rochereau, Ledru-Rollin, ou Richard-Lenoir cité ci-dessus). Ceci devient particulièrement important dans des noms à rallonge, tels que La Motte-Picquet—Grenelle, dont le nom réunit deux éléments (La Motte-Picquet et Grenelle), ou la gare de RER Châtelet—Les Halles (qui réunit deux stations de métro : Châtelet d'un côté, et Les Halles de l'autre). Ainsi, dans le cas d'une station comme Charles de Gaulle—Étoile, on sait tout de suite que le nom est composé de deux éléments (Charles de Gaulle et Étoile), et que le premier de ces éléments est un nom complet (prénom + nom) et non un nom de famille composé.

    Ces présentations sont, je trouve, plus claires que les versions indigestes préconisées par le LRTUIN (et utilisée pars Le Monde), telles que Charles-de-Gaulle-Étoile, Saint-Michel-Notre-Dame, Palais-Royal-Musée-du-Louvre, Villejuif-Paul-Vaillant-Couturier (alors que, avec Villejuif—Paul Vaillant-Couturier ou Palais-Royal—Musée du Louvre, on peut tout de suite identifier les deux éléments qui composent le nom de la station — et, dans le cas de Saint-Michel—Notre-Dame, être sûr que le saint Michel n'était pas une dame…).

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  5. Bonjour à vous, et merci pour votre avis et vos commentaires très intéressants. Vous voyez, vous avez été lu !
    Pour les raisons que j’évoquais dans l’article, je pense que ces traits d’union ont vraiment une utilité (dans des écrits littéraires ou journalistiques, pas sur les panneaux), afin d’éviter une éventuelle confusion entre la personne et un lieu portant son nom. Ce n’est qu’un avis, mais c’est essentiellement pour cela que cette règle a été mise en place et qu’elle est toujours en vigueur, au moins en France et au Québec. Les Belges, eux, ne l’ont pas adoptée.
    En revanche, dans mon Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale, je n’ai trouvé aucun exemple de type « Charles-de-Gaulle-Étoile ». Je ne m’étais jamais posé la question, mais si vous avez des références à ce sujet, je suis preneur. Tout comme vous, il me viendrait assez naturellement l’idée d’utiliser un tiret plutôt qu’un trait d’union : Charles-de-Gaulle – Étoile. Mais encore une fois, je ne sais pas si une règle existe vraiment en ce cas.
    Un grand merci encore…

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